mardi 6 janvier 2009

Sémiramis : un retour aux sources

Au mois de juillet, Sémiramis Ide a participé, avec une délégation de Pax Christi, aux "mini-JMJ" qui ont rassemblé 2000 jeunes chrétiens irakiens au Kurdistan. Le mois dernier, elle a participé au colloque Mosaïques.

« Ce voyage a été le choc de ma vie. » Trois mois après son retour d’Irak, Sémiramis, vingt ans tout juste, a encore du mal à retenir son émotion quand elle évoque ce voyage. Une expérience qui l’a transformée.

Des valeurs familiales

Sémiramis se présente comme « Assyro-chaldéenne ». Ses parents, originaires du sud-est de la Turquie, se sont réfugiés en France au début des années 80 : « Là-bas, ils devaient se cacher pour prier, ne pouvaient pas parler l’araméen en public. Ma mère n’est jamais allée à l’école car les chrétiennes risquaient de se faire enlever par les Kurdes. Mon grand-père a été assassiné, laissant ma grand-mère seule avec neuf enfants ». A Gonesse, dans le Val d’Oise, la famille Ide s’intègre à la communauté assyro-chaldéenne : « Nos parents nous ont transmis des valeurs orientales. Nous devons nous marier entre nous, car nous avons une langue et une culture à conserver. A l’école, à la fac, nous rencontrons des personnes différentes et, à cause de cette pression, il faut faire des choix. C’est difficile ».

Crise d’identité

« Pour les jeunes, observe Sémiramis, la langue araméenne, parlée au sein de la famille et de la communauté, renvoie à un lien avec un ailleurs un peu flou, l’Irak, la Turquie, la Syrie... Nous sommes un peuple apatride. Les jeunes nés en France ne se sentent pas Français. Ils sont entre deux mondes, ne sachant pas où se situer. » Ce déchirement entre deux cultures, Sémiramis l’a éprouvé, mais elle ne l’a vraiment analysé que lors de son séjour en Irak.

C’est en 2004 qu’elle a pris conscience du lien avec son pays d’origine : « Lorsque quatre églises ont été détruites à Bagdad, mon père est parti là-bas pour aider notre peuple. Quand un prêtre a été assassiné avec ses trois diacres à Mossoul, j’ai été bouleversée ». Avec des amis, elle crée un site pour sensibiliser sa communauté et les Français : « Chez nous, le sujet était tabou, on n’osait pas parler de ces persécutions ».

JMJ au Kurdistan

L’an dernier, Sémiramis entend parler de l’opération de Pax Christi, Pâques avec les chrétiens d’Irak. C’est avec ce mouvement qu’elle est partie au Kurdistan, dans le nord de l’Irak, pour des JMJ organisées en hâte par Mgr Rabban, évêque d’Erbil et d’Amadijah, car deux mois avant Sydney, le visa pour l’Australie avait été refusé à 200 jeunes Irakiens. « Nous étions trois Français, avec un accompagnateur de Pax Christi, porteurs de 1000 messages de soutien ».

Cette expérience l’a retournée : « J’avais une vision imaginaire de l’Irak. Là, j’ai découvert des villes où 98% des habitants sont syriaques catholiques, où tout le monde parle araméen, dans les rues, les commerces. Parler l’araméen, la langue de Jésus, instaure forcément un lien avec les autres et avec Dieu : c’est avant tout une relation d’amour et de fraternité ».

Le rêve des jeunes

Le choc de l’arrivée, puis la rencontre avec les Irakiens, « simple, profonde : ils ont cet amour de l’autre, de l’ailleurs, qui est vraiment partie intégrante de leur culture. Ces jeunes ont fui Bagdad ou Mossoul pour retourner dans les villages de leurs grands-parents. Ils ne parlent pas le kurde, ne trouvent pas de travail et ont peu de chance de rentrer chez eux, même si certains s’accrochent encore à cet espoir. Les toits sont couverts de paraboles. Ils sont là, mais leur esprit est ailleurs. Ils rêvent d’un Occident idéalisé où tout est libre, où hommes et femmes peuvent se côtoyer. Ils ne savent pas que cette liberté a un prix ».

Une identité retrouvée

Sémiramis confie que ce séjour a été déterminant : « Pour la première fois de ma vie, je me suis sentie à ma place. Je me suis retrouvée ! Le plus terrible a été de repartir. Je me sentais déchirée, comme si on m’avait arrachée de ma maison ». Si elle a eu du mal à se remettre de ce voyage, Sémiramis ajoute qu’aujourd’hui, elle est plus sereine. Elle sait d’où elle vient : « Je sais que je suis Française avec fierté, et Assyro-chaldéenne avec fierté ». Elle a décidé d’abandonner ses études d’arts plastiques pour s’inscrire en histoire et en sciences politiques, devenir journaliste « et témoigner pour aider mon peuple ».

Une étape vers la paix

Avec Pax Christi, Sémiramis essaie de jeter les bases d’actions de solidarité : jumelages entre paroisses irakiennes et françaises, formation au scoutisme, à la catéchèse, « des petits projets permettant d’offrir un avenir aux chrétiens et d’arrêter l’hémorragie ».

Le colloque Mosaïques lui a donné du courage : « Je me suis reconnue dans les autres témoignages, avec ce thème de "l’autre" : pour se connaître soi-même, on est obligé de rencontrer l’autre. Ouvrir son cœur, parler avec l’autre, faire un pas vers lui, c’est déjà une étape vers la paix. Le travail de toutes ces associations me donne de l’espoir pour l’avenir de la Méditerranée, du Moyen-Orient, de l’Europe et du monde ! ».

Dominique Paquier-Galliard
Interview parue dans l'église aujourd'hui à Marseille, le 01 novembre 2008

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